re plus personne, s’oublier pour quelqu’un, une fois, au moins. Mais comment ? Ne m’accablez pas trop. Je suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lâcher ma main, un jour, à la terrasse d’un café : « Ah ! monsieur, disait-il, ce n’est pas qu’on soit mauvais homme, mais on perd la lumière. » Oui, nous avons perdu la lumière, les matins, la sainte innocence de celui qui se pardonne à lui-même.

Regardez, la neige tombe ! Oh, il faut que je sorte ! Amsterdam endormie dans la nuit blanche, les canaux de jade sombre sous les petits ponts neigeux, les rues désertes, mes pas étouffés, ce sera la pureté, fugitive, avant la boue de demain. Voyez les énormes flocons qui s’ébouriffent contre les vitres. Ce sont les colombes, sûrement. Elles se décident enfin à descendre, ces chéries, elles couvrent les eaux et les toits d’une épaisse couche de plumes, elles palpitent à toutes les fenêtres. Quelle invasion ! Espérons qu’elles apportent la bonne nouvelle. Tout le monde sera sauvé, hein, et pas seulement les élus, les richesses et les peines seront partagées et vous, par exemple, à partir d’aujourd’hui, vous coucherez toutes les nuits sur le sol, pour moi. Toute la lyre, quoi ! Allons, avouez que vous resteriez pantois si un char descendait du ciel pour m’emporter, ou si la neige soudain prenait feu. Vous n’y croyez pas ? Moi non plus. Mais il faut tout de même que je sorte.

Bon, bon, je me tiens tranquille, ne vous inquiétez pas ! Ne vous fiez pas trop d’ailleurs à mes attendrissements, ni à mes délires. Ils sont dirigés. Tenez, maintenant que vous allez me parler de vous, je vais savoir si l’un des buts de ma passionnante confession est atteint. J’espère toujours, en effet, que mon interlocuteur sera policier et qu’il m’arrêtera pour le vol des Juges intègres. Pour le reste, n’est-ce pas, personne ne peut m’arrêter. Mais quant à ce vol, il tombe sous le coup de la loi et j’ai tout arrangé pour me rendre complice ; je recèle ce tableau et le montre à qui veut le voir. Vous m’arrêteriez donc, ce serait un bon début. Peut-être s’occuperait-on ensuite du reste, on me décapiterait, par exemple, et je n’aurais plus peur de mourir, je serais sauvé. Au-dessus du peuple assemblé, vous élèveriez alors ma tête encore fraîche, pour qu’ils s’y reconnaissent et qu’à nouveau je les domine, exemplaire. Tout serait consommé, j’aurais achevé, ni vu ni connu, ma carrière de faux prophète qui crie dans le désert et refuse d’en sortir.